CAMILLE-S, rencontre avec Camille Claudel

Ma première rencontre avec le sculpteur Claudel remonte à mon adolescence au travers de l’œuvre de Rodin… Celle avec Camille date de 1984, lorsque sort le livre de Reine Marie Paris « Camille Claudel » qui laissera son empreinte en filigrane au long de mes itinérances d’artiste de Paris à Venise, de Venise aux États-Unis, puis au Proche Orient, en passant par la Grèce et l’Italie dans son ensemble…
Des années plus tard, en 2013, j’ai la chance de rencontrer Reine Marie Paris, petite-nièce de Camille, auteur de son catalogue raisonné et de plusieurs ouvrages: nous nous lions d’amitié et commence alors pour moi un voyage intérieur au plus près de ses œuvres, dans une intimité nouvelle…
A partir de 2016, je me sens prête à affronter son regard et surtout à le retransmettre… Commence alors à l’atelier cette conversation à trois, entre la terre, quelques photographies dessins ou sculptures de l’époque la représentant et moi, le filtre, la main qui crée l’interface…

Des heures passent dans le silence, la lumière du Nord ou la pénombre régulière de l’atelier… liquides, flexibles, usées, entrecoupées de quelques fragments de secondes jubilatoires… Puis naît le visage, à l’architecture texturée étageant fleurs et fruits dans la chevelure, au souhait de Reine Marie. Elle aimait se parer ainsi.

Rapidement une dynamique de travail autour de cette première traduction se fait jour : j’irais plus loin que cela. Il lui faut une existence a postériori qui en explore les passages heureux, passionnés et convulsifs. Il faudra faire ses gammes. Des gammes de matières différentes, chacune à charge de faire passer une vibration rebondissante qui nous mène sur les rives de ce « toujours quelque chose d’absent » qui n’a eu de cesse de la tourmenter.
Toucher du doigt le calme infini de cette tourmente.

 

CAMILLE-S ou Les Huit Planètes

Ma première Camille appelle le bronze à grands cris. Il sera proche de la vibration de l’argile crue, de cette nuance entre le vert de gris froid et l’ocre chaud.

La deuxième flirte avec un certain réalisme extérieur en s’autorisant une mise en palette charnelle. Une résine peinte aux pigments de couleur. Elle annonce la suivante

La troisième qui est peut-être proustienne : la pâte de verre. Ou l’on devinera plus qu’on ne verra la réalité extérieure, mais l’on passera au travers, où l’essentiel est invisible pour les yeux.

La quatrième tente la dissociation. Une coiffe de cristal transparent limpide, portée par le visage de bronze dense et opaque. C’est une percée dans le mystère Claudel.

La cinquième est éclatée. La fragilité de la porcelaine pure. La coiffe se scinde en deux comme écartelée; mais la plante est vivace. Elle garde ses couleurs. Une larme de cristal vient lézarder la joue.

A la sixième, Camille se dédouble et vient à nous du bout de sa bottine, à la boucle de cheveux. Hyper-réalisme ? Aller jusqu’aux limites illusoires du réel qui nous amène face à nous-même, dans notre vanité humaine. Elle, de cire debout dans sa blouse d’atelier modèle un Rodin factice et farouche.

Il faut maintenant à la septième revenir au feu et à la terre dans une autre opposition. La lumière est donnée dans l’émail de la coiffure, dans les yeux clairs, tandis que la carnation est fumée, carbone. Sculpture de Raku, qui est passée trois fois par le feu.

La huitième garde l’essentiel. Le masque : yeux, nez, bouche, un autre Raku, ivoire cette fois, craquelé comme l’esprit qui se lézarde, se fond peu à peu, porté par une géométrie de transparence.

Camille tient malgré elle.